par David Encaoua

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Vidéo 1 : L’innovation, destructrice ou créatrice d’emplois ?
Devrait-on s’inquiéter par le ralentissement de la productivité ?

Premièrement, je dirais que les inquiétudes sur le ralentissement de la productivité sont relativement exagérées. La reprise progressive aux États-Unis laisse penser que les gains de la productivité vont revenir, et ce d’autant plus que par le passé, on a observé qu’il fallait beaucoup de temps, à la fin d’une récession, pour que les gains de productivité issus des nouvelles innovations se manifestent. Par contre, les inquiétudes sur l’emploi sont très importantes, et partagées maintenant par de plus en plus de personnes. Il est nécessaire d’établir un bon diagnostic de ce que pourraient être (ce que font essentiellement tous les gouvernements) des politiques en faveur de l’innovation.

Quel diagnostic doit-on faire ?

Il faut répondre à la question : comment se battre avec la machine, et non pas contre la machine ? En posant la question de cette manière, j’exprime l’idée qu’il ne faut absolument pas ralentir le rythme des innovations mais au contraire réfléchir aux orientations que nous pouvons leur donner.

Je voudrais parler d’une question concrète qui pourra intéresser chacun. Prenons l’exemple de la voiture. Pensez-vous que l’avenir industriel de la voiture – j’inclus l’emploi qui va avec – réside dans les multiples performances nouvelles que l’on introduit ? Les innovations du type intelligence embarquée, 2 litres aux 100 km, carburant électrique plutôt que carburant liquide sont-elles plus importantes qu’une réflexion sur comment utiliser la voiture ? Quelles sont les utilisations sociales possibles, nouvelles, que nous pouvons avoir de la voiture, notamment comment on accède aux villes, comment disposer d’une voiture sans avoir à l’acheter, comment peut-on la parquer, et ainsi de suite.

Comment ceci pourrait-il influencer la direction des innovations ?

Ce sont ces réflexions qui m’ont mené à proposer une idée relativement nouvelle pour parler de la direction des innovations. Plus exactement, dans un travail en cours avec Mme Michèle Debonneuil de la Caisse des dépôts et consignations, nous réfléchissons à un nouveau mode d’organisation sociale qui consiste à envisager de remplacer le système actuel dans lequel la production de biens industriels est séparée de la production des services qui vont avec – ce qui amène d’ailleurs, à ce qu’un certain nombre de services ne sont pas comptabilisés dans la comptabilité nationale, par exemple quand j’écoute de la musique en ligne, c’est gratuit, il n’y a aucune comptabilité de cette activité. Si au lieu de faire cette séparation, nous intégrions de plus en plus la production de produits, en combinant à la fois le bien, les équipements et les services qui vont avec, et surtout les personnes pour faire fonctionner ces services et ces équipements ? C’est une nouvelle conception de ce que l’on pourrait appeler « un produit final ». Cette nouvelle conception, nous l’appelons « une solution ».

Quels sont les arguments qui nous poussent à proposer ce type d’organisation sociale ?

Comme chacun le constate dans sa vie quotidienne, il y a de plus en plus de services qui ont perdu leur caractère privatif, qui ont perdu leur caractère d’exclusion. Un service, c’est par exemple, « si je mange un aliment, ce n’est pas vous qui le mangez », donc c’est exclusif, alors que d’autres services, notamment les services en ligne, sont des services libres d’accès et d’accès collectif. Et l’importance de ces services ne cesse d’augmenter dans la vie contemporaine.

Deuxièmement, les manières d’exploiter les nouvelles technologies numériques constituent, en soi, une innovation d’autonomisation. Ce n’est pas simplement la polarisation sur le contenu technologique qui compte, mais également la manière d’utiliser cette technologie numérique.

Enfin, la troisième raison, celle sur laquelle je voudrais mettre l’accent, est que la production de ces solutions, c’est-à-dire l’organisation sociale autour de ces solutions, mobiliserait une main-d’œuvre, des emplois dont je vais dire dans un instant qu’ils représentent une quantité considérable dans l’économie.

Pourquoi une nouvelle forme d’organisation sociale conduirait-elle à des perspectives plus favorables sur l’emploi ?

Cette nouvelle organisation sociale conduirait grosso modo à deux types d’emploi. D’une part, des emplois industriels très spécialisés : des emplois de conception de produits, donc des emplois où la recherche et le développement (R&D) sont importants, et des emplois également dans la production industrielle de ces biens. Ce sont des emplois qui requièrent que la formation, l’éducation, la formation professionnelle s’adaptent à cette évolution.

Il y a un deuxième type d’emploi qui est spécifique à cette nouvelle forme d’organisation sociale, c’est la mise à disposition du personnel pour l’utilisation des « solutions ». Nous allons faire un petit exercice prospectif très simple : si chaque Français demandait une heure par semaine d’assistance personnelle à ces emplois, cela créerait plus d’un million d’emplois à temps plein. Donc c’est une perspective relativement importante, et cette perspective est d’autant plus importante que ce type d’emploi possède deux types de propriétés remarquables : la première est que ce sont des emplois non délocalisables, et la deuxième est que ce sont précisément des emplois non remplaçables par des technologiques numériques, dans la mesure où ils font intervenir des tâches d’interactions humaines et, comme vous le savez, ces tâches sont essentiellement non-routinières.

Vidéo 2 : L’innovation montre-t-elle des contreperformances ?

Pour parler de contreperformances, il faut d’abord expliciter le référentiel. Le référentiel, c’est à la fois la théorie économique mais surtout l’observation économique des situations passées. Pendant le XIX^e siècle et une bonne partie du XX^e siècle, jusqu’aux années 1970, l’innovation a été le moteur du progrès technique, lui-même à l’origine de la croissance, elle-même productrice de plein emploi.

Depuis le milieu des années 70, des inquiétudes montent, nées de plusieurs observations. Mes observations se basent sur le pays phare de l’innovation, c’est-à-dire les États-Unis. Ce qui est valable aux États-Unis l’est encore plus à l’extérieur, dans la mesure où nous n’avons pas encore le même stade innovatif qu’aux États-Unis. Deux contreperformances notoires sont à signaler.

La première est que la croissance de la productivité a ralenti après 1972. De 1948 à 1972, la croissance de la productivité américaine du travail a été de 3 % par an. Depuis cette date et jusqu’à aujourd’hui, la croissance de la productivité du travail est divisée par deux, elle de l’ordre de 1,5 % par an. C’est une première source d’inquiétude.

Une deuxième source d’inquiétude est que l’emploi n’a pas retrouvé son niveau antérieur à la crise économique. Cet impact négatif de l’innovation sur l’emploi se décline à travers deux phénomènes. Le premier phénomène est que les phases d’expansion ne conduisent pas à des créations d’emplois qui suffisent à compenser les destructions d’emplois pendant les phases de récession. Ceci est le premier phénomène très important. Le deuxième phénomène très important est qu’il y a une polarisation de l’emploi, à savoir que nous n’avons pas uniformément une baisse ou une hausse des emplois, et nous n’avons pas non plus de distinction entre industrie et services comme on le pense habituellement, mais cette polarisation se fait à travers deux critères qui représentent, en quelque sorte, les compétences au travail : le premier critère est le caractère routinier ou non-routinier d’une activité, routinier voulant dire simplement « codifiable » par un ordinateur ; le deuxième critère est le caractère manuel du travail ou cognitif, c’est-à-dire qu’il fait intervenir des capacités d’adaptation à la situation.

Que constate-t-on ? Que la baisse des emplois est surtout concentrée dans les activités routinières, que celles-ci soient d’ordre manuel ou d’ordre cognitif, tandis qu’il y a des hausses d’emplois dans les deux autres catégories, c’est-à-dire les activités non-routinières, qu’elles soient manuelles ou cognitives.

Quels types de travail sont affectés par ces innovations  ?

Les raisons de ces contreperformances sont diverses. Parmi elles, j’aimerais en citer deux essentiellement.

Les innovations de cette révolution industrielle que nous vivons ont comme capacité de remplacer le travail codifié, c’est-à-dire les emplois requérant des compétences codifiées par des automatismes. C’est l’une des premières raisons, et c’est une raison qui a été fort abondamment illustrée et qui peut paraître relativement inquiétante. Toujours dans le même ordre idée, cette polarisation dont je parlais tout à l’heure recouvre un peu la distribution des salaires, c’est-à-dire que les salaires médians, intermédiaires,  sont ceux qui correspondent le plus aux activités routinières, qu’elles soient manuelles ou cognitives. D’où l’inquiétude considérable, puisque ce sont les classes moyennes qui subissent de plein fouet cette révolution industrielle. D’autre part, le fait qu’il y ait un tel écart entre les extrêmes et la classe moyenne fait qu’il y a eu une croissance des inégalités qui devient elle-même fort importante et qui questionne le devenir de cette situation. C’est la première raison.

La deuxième raison est que nous avons constaté que les innovations de la révolution industrielle que nous vivons  sont différentes des innovations précédentes, c’est-à-dire celles de la seconde révolution industrielle, de la parution du moteur électrique et ainsi de suite.

En quoi les innovations d’aujourd’hui sont-elles différentes ?

On distingue grosso modo trois types d’innovation : les innovations dites « de remplacement », les innovations dites « de rationalisation » et les innovations que j’appellerais  « autonomisantes ».

Les premières sont suffisamment parlantes. Avec une innovation de remplacement, un produit est amélioré soit par l’introduction de performances différentes, soit par l’introduction de fonctionnalités différentes. Chacun songe par exemple à son appareil de téléphone où il y a différentes versions qui apparaissent. Les innovations de rationalisation sont celles qui consistent à instaurer plus d’efficacité productive, notamment en remplaçant du travail humain par du travail robotisé, automatisé et ainsi de suite. Des travaux qui sortent de l’innovation elle-même, de technologies numériques.

Puis les innovations autonomisantes possèdent trois caractéristiques. La première est que ce sont des innovations de ruptures, on les appelle « destructives », c’est-à-dire qu’elles remplacent complètement une technologie ancienne par une nouvelle. Deuxièmement, elles sont à la source d’une demande nouvelle et importante, et d’autant plus importante qu’elle concerne plusieurs activités. Elles ont des applications dans plusieurs domaines. La troisième caractéristique de ces innovations autonomisantes est qu’elles s’accompagnent de modes de vie spécifiques qui les valorisent et les rendent plus productives, porteuses de plus grandes vertus au niveau économique.

Or on constate aujourd’hui que les innovations autonomisantes sont bien moins nombreuses que les innovations de remplacement et les innovations de rationalisation. Ce sont les innovations de remplacement qui sont les plus importantes. Savoir pourquoi il en ainsi est une question extrêmement importante, sur laquelle on a des pistes de réflexion mais non encore de réponses totalement définitives.
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Vidéo 3 – PEDAGOGIE
Histoire de la révolution industrielle – Innovation
Quelles innovations majeures ont marqué l’histoire ?

Grosso modo, on peut distinguer trois phases dans l’évolution des innovations. Un certain nombre de travaux montrent qu’avant le XVIII^e siècle la croissance du niveau de vie était à peu près nulle. Les innovations sont apparues au milieu du XVIII^e siècle, et la première innovation très importante, qui correspond à la première révolution industrielle, est la machine à vapeur. La machine à vapeur a remplacé le métier des tisserands, elle a remplacé la charrue à bœufs par une charrue motorisée, et ainsi de suite. Mais le problème de la machine à vapeur est que c’est un immense appareil, une immense technologie qui n’est pas utilisable partout, ce qui a conduit la machine à vapeur à être utilisée dans les chemins de fer, dans un certain nombre de bateaux à vapeur, mais n’a pas pu être complètement généralisée.

La seconde révolution industrielle est le remplacement de la machine à vapeur par le moteur à explosion. Le moteur à explosion, on peut le mettre partout, il se développe dans toutes les activités, l’invention de l’électricité. Cette invention de la seconde révolution industrielle a été d’autant plus marquante qu’elle s’est accompagnée d’une révolution dans les modes de vie, c’est-à-dire du confort domestique, de l’eau à domicile, des sanitaires, des appareils ménagers et ainsi de suite… Cela a permis d’avoir des modes de vie beaucoup plus agréables, donc cela a appelé le développement de produits correspondant au développement de cette révolution industrielle : la voiture, le remplacement de la traction animale par la traction motrice est une invention absolument considérable.

La troisième révolution industrielle est très différente, elle fait appel non pas à des technologies qui augmentent la capacité physique des hommes, elle fait appel à des technologies qui augmentent les capacités mentales des hommes. Nous constatons que ces capacités mentales sont d’autant plus développées qu’elles permettent des interconnexions, non seulement entre individus mais entre individus et objets, c’est ce que l’on appelle l’Internet des objets. Par exemple il y a déjà des applications dans le domaine de la domotique, dans le domaine des soins à domicile, dans le domaine du traitement de la dépendance, énormément d’applications. Ces applications sont valorisées par les producteurs parce qu’ils savent que la valeur se passe beaucoup plus du côté du client que dans la technologie du produit ou dans le produit lui-même. La relation client est relativement importante. Néanmoins nous n’avons pas encore totalement exploité les nouveaux modes de vie qui correspondent à cette troisième révolution industrielle. C’est pour cela que l’appel à cette nouvelle organisation sociale, que certains appellent le « quaternaire » suite de la troisième révolution industrielle, paraît prometteuse. Mais évidemment elle pose énormément de problèmes, notamment au niveau des équipements, au niveau des plates-formes technologiques pour coordonner l’ensemble des équipements nécessaires et autres.