Par Gabriel Felbermayr

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VIDEO 1 : La négociation des accords commerciaux
Quels sont les avantages d’un accord de libre échange et d’investissement ?

Les avantages d’un tel accord seraient d’ouvrir le grand marché américain aux entreprises françaises et européennes afin qu’elles puissent mieux vendre leurs produits et qu’elles rencontrent moins de barrières douanières ou bureaucratiques. En même temps, parce que c’est évidemment un accord réciproque, les firmes américaines pourraient mieux vendre en Europe. Cela veut dire qu’il y aurait plus de pression sur les prix chez nous et une plus grande variété pour les consommateurs, donc la situation du consommateur européen devrait s’améliorer.

 A qui profite la simplification de ces règles ?

Avec la simplification des règles, on donne plus de chances à des entreprises qui sont suffisamment fortes pour vendre aux Etats-Unis, mais on rend la vie plus difficile aux entreprises qui n’ont pas de produits qui pourraient se vendre aux Etats-Unis, ou dont les produits n’ont pas la qualité suffisante ou qui ne plaisent pas aux Américains. En même temps, ces entreprises vont avoir une plus grande concurrence en Europe parce qu’il y aura de nouvelles firmes américaines qui vont entrer. Pour les entreprises faibles, cet accord peut représenter des risques, et certaines d’entre elles vont probablement disparaître ou réduire leurs activités. Donc il y aura, dans la même industrie, des firmes qui perdent et d’autres qui gagnent. Dans le processus politique, cette coexistence ou cette hétérogénéité va évidemment créer des complexités et des problèmes.

Pourquoi ces accords sont-ils compliqués à négocier ?

Aujourd’hui, les barrières tarifaires ont été éliminées presque partout. Il reste encore certains secteurs où elles sont encore élevées, par exemple dans la nourriture, les textiles, les chaussures, mais pour beaucoup de produits industriels ces barrières sont déjà relativement petites.

Restent les barrières non-tarifaires comme les règlements bureaucratiques qui sont nécessaires ou qui sont là pour pouvoir admettre un produit sur le marché américain ou européen. Par exemple, si l’on veut vendre une voiture aux Etats-Unis, une centaine de règles s’appliquent, qui sont différentes des règles européennes. Il faut développer la même voiture deux fois, une fois pour le marché européen, une fois pour le marché américain, mais la sécurité du véhicule est la même. C’est un développement qui coûte cher aux entreprises, qui absorbe aussi les ingénieurs qui pourraient faire autre chose pendant qu’ils développent la même voiture deux fois. Si l’on simplifie les procédures ou si l’on trouve un accord pour que les produits soient admis en Amérique et en Europe, on pourrait réduire les coûts pour tout le monde. Par exemple un crash-test doit être fait pour la même voiture en Europe et aux Etats-Unis. Cela veut dire que 10 voitures françaises vont être crashées contre le mur, et devenir inutilisables, et aux Etats-Unis la même chose. Il s’agit de la même voiture, donc avec un seul test on pourrait avoir l’information dont on a besoin.

Ce genre de simplifications sont au cœur des accords, mais parce qu’on a des centaines, des milliers de produits avec leurs spécificités techniques différentes, ainsi que des obstacles hérités du passé et qui sont très complexes, ces négociations sont compliquées. Elles prennent beaucoup de temps et se heurtent toujours aux intérêts des compagnies qui font les crash-test et qui ne veulent pas voir ces barrières disparaître.

 Quels pays bénéficient d’un tel accord ?

En principe ce type d’accord vise à créer des avantages pour l’Europe et pour les Etats-Unis, mais lorsque l’on regarde en détail, on voit que certains pays vont en bénéficier plus que d’autres. Pourquoi ? Parce que la simplification des règles ou l’élimination des tarifs s’appliquent dans certains domaines et pas dans d’autres. Les pays cœur en Europe comme l’Allemagne, ou la France dans une moindre mesure, produisent des produits qui vont connaître des simplifications aux Etats-Unis, comme les voitures, les machines, les produits chimiques, alors que d’autres pays, par exemple la Grèce qui produit des olives, ne verront pas ces avantages sur les marchés américains parce que pour ces produits-là, soit il n’y a pas de simplification possible, soit il n’y a pas de difficultés au départ parce qu’il n’y a pas d’obstacles bureaucratiques ou de tarifs. Donc en Europe, selon nos prévisions, tout le monde va avoir des avantages mais la distribution de ces avantages n’est pas uniforme. Certains pays comme l’Angleterre ou l’Irlande vont avoir de gros avantages, ils proviennent du cœur industriel de l’Europe. L’Allemagne, les Pays-Bas ou la France un peu moins. Le sud européen gagnerait aussi, mais beaucoup moins.

Vidéo 2 : Les partenaires des négociations commerciales internationales
Ce type d’accord n’exclut-il pas des pays ?

L’accord entre l’Europe et les Etats-Unis est un accord bilatéral, cela veut dire que 29 pays se mettent d’accord sur certaines choses, mais les autres 180 pays sont exclus. Le pays le plus important dans le commerce international qui n’est pas à la table des négociations est la Chine. Cela représente un intérêt géostratégique des Américains, peut-être un peu moins des Européens, de marginaliser les Chinois. C’est un concurrent non seulement économique mais aussi politique. Dans ce jeu, la Chine est toujours présente, même si elle n’est pas présente à la table des négociations. Selon nos calculs et les estimations d’autres équipes, cet accord de libre échange, qui crée un peu plus de croissance en Amérique et en Europe, crée le contraire en Chine : les Chinois perdraient un peu, ce n’est pas énorme mais c’est visible dans les calculs. Dans d’autres pays qui sont exclus, il y a ambiguïté parce qu’il y a deux effets. Premièrement, si l’Europe et les Etats-Unis ont un peu plus de croissance, ils vont aussi dépenser plus d’argent pour des produits qui viennent d’autres pays. Deuxièmement, si l’on baisse les barrières entre l’Europe et l’Amérique mais pas avec les autres pays, cela rend les firmes européennes plus compétitives en Amérique. Les pays européens gagnent des parts de marché au détriment de ceux qui restent à l’extérieur. Parmi les pays exclus, certains vont y perdre. Par exemple autour de la Chine, le Cambodge, le Japon, Taïwan ou certains pays en Afrique vont y perdre, comme certains pays en Amérique latine. En revanche, pour les pays bien intégrés dans les chaînes de production européennes ou américaines, l’effet de demande va être très important et ils ont plus de chance de gagner grâce à un tel accord.

Ne serait-il pas plus stratégique de faire entrer la Chine dans les négociations ?

Effectivement c’est une bonne idée, et c’est une idée qui plaît aux économistes parce que baisser les barrières seulement entre certains pays est inférieur à une baisse généralisée. C’est connu depuis longtemps. Le problème est que ce un sujet est déjà compliqué entre deux pays qui ont un niveau de développement comparable, qui ont des valeurs démocratiques comparables, qui respectent les droits de l’homme, etc. Parler avec les Chinois, par exemple sur la protection de l’environnement ou sur certains standards sociaux, est beaucoup plus difficile. Depuis ces 20 dernières années, il y a très peu de progrès sur le niveau multilatéral à cause de l’hétérogénéité des pays, donc on négocie avec les Américains parce qu’on pense pouvoir faire des progrès, et on ne fait pas de négociations plus larges parce que tout le monde pense que c’est trop difficile et qu’on ne trouvera pas d’accords.

Vidéo 3 – Le contenu des accords commerciaux
Sur quel support peut-on négocier ?

Les barrières non-tarifaires prennent beaucoup de formes différentes. Il peut s’agir des règles appliquées par les pays pour admettre un produit ou non sur un marché. Mais cela concerne aussi les règles sur l’investissement : est-ce qu’un étranger peut investir, et s’il a investi, comment son investissement est protégé ? Cela concerne l’immigration aussi : est-ce que je peux envoyer des techniciens pour travailler sur la machine que j’ai vendue, quels sont les obstacles, est-ce que les procédures de visa sont très coûteuses ? Cela concerne les services aussi : est-ce que les Américains ou les Européens acceptent ces diplômes ? Le problème avec les barrières non-tarifaires est qu’elles couvrent un champ très vaste et surtout l’objectif ne peut pas être de baisser tous les standards de régulation et de réglementation. Avec les tarifs, c’est simple : « zéro » est le mieux. Mais lorsqu’on parle de standards en chimie, il faut trouver un compromis et le compromis n’est pas zéro, ce n’est pas l’infini mais c’est entre les deux extrêmes. Cela pose de nouveaux problèmes pour les négociateurs qui créent ces accords. Ce sont des sujets beaucoup plus complexes que simplement baisser des tarifs.

Existe-t-il des accords similaires pour le secteur financier ?

Les Européens voudraient aussi négocier sur le système financier, mais les Américains ont peur des banques « zombies » d’Europe, ils ne veulent pas faciliter la vie des banques européennes aux Etats-Unis parce qu’ils n’ont pas confiance dans le système européen. Par contre, les Européens voudraient avoir des avantages sur le marché américain parce que la régulation en Amérique leur coûte cher. On parle souvent, dans le débat public, du capitalisme américain qui est un capitalisme tourné vers le risque. Mais dans le contexte de négociation, c’est en fait le contraire, ce sont les banques européennes qui veulent réduire les obstacles, les règles, les rendre plus faciles pour elles, parce qu’en Amérique on a maintenant des standards plus élevés qu’en Europe.