Par Philippe Gagnepain

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Vidéo 1 : L’organisation du transport urbain
Comment les autorités organisent le transport urbain ?

Depuis 1993 et la loi Sapin, chaque ville doit en principe organiser un appel d’offre, c’est-à-dire que lorsqu’un contrat est terminé, la ville doit choisir un nouvel opérateur. Elle organise un appel d’offre, les opérateurs qui se font concurrence participent à l’appel d’offre et elle choisit celui qui propose le prix (le coût d’exploitation) le plus faible. Cela marche ainsi en principe. En pratique, jusqu’au début des années 2000 en tous cas, on observait très peu de changements. Les mêmes opérateurs étaient présents dans une même ville sur des durées très longues. Pour un économiste, cela a des conséquences en termes de choix du type d’étude à réaliser. Si l’on s’intéresse par exemple à la renégociation des contrats de transports, c’est l’industrie parfaite puisqu’on a le même opérateur sur des périodes très longue, plus de 20 ans en général. Ce sont des séries de contrats qui durent 5 ans donc on observe des renégociations de contrats avec un même opérateur, et parfois des autorités régulatrices différentes puisqu’elles sont élues pour 6 ans. Donc il peut y avoir des changements de régulateurs mais les opérateurs restent les mêmes sur des périodes longues. Donc pour ce type d’études, la renégociation des contrats c’est l’industrie parfaite. Pour des études sur la concurrence entre les opérateurs, c’est plus délicat.

Quel est l’intérêt pour un opérateur de répondre à ce type d’offre ?

Cela dépend énormément de l’identité et de la taille des groupes. Les gros opérateurs sont actifs dans le transport urbain en France mais ils proposent d’autres types de services publics. Pour ces opérateurs, le transport permet évidement de proposer un service public aux usagers, mais cela permet aussi de pénétrer un marché, de dire aux municipalités « nous sommes des opérateurs de transports mais nous savons aussi ramasser les ordures, distribuer de l’eau ou faire d’autres types d’activités municipales ». Pour les petits opérateurs, la question est plus compliquée puisque ce sont par définition des entreprises qui ne font que du transport urbain. Là, la possibilité d’avoir un profit en fin d’activité est importante. Pour les grands groupes, avoir des pertes légères n’est pas dramatique puisque ce sont par définition des entreprises qui ont plusieurs activités et qui peuvent donc subventionner une perte dans une activité avec un gain dans une autre.

Les autorités utilisent-elles toutes le même type de contrat ? 

Je ne me suis pas intéressé directement aux problèmes de tarification mais plutôt à l’usage des contrats qui sont signés entre les autorités organisatrices et les opérateurs, ainsi qu’aux mécanismes incitatifs associés à ces contrats. En France, il y a deux types de contrats en termes d’incitation à la productivité et à la réduction des coûts pour les opérateurs. On a d’un côté les contrats « coût du service » et de l’autre les contrats « prix fixes ».

Dans le cas « coût du service », le régulateur demande simplement à l’opérateur : « combien cela vous a coûté ? Je vous rembourse intégralement les coûts et vous me donnez les recettes commerciales ». Ce qui signifie que, pour l’opérateur, le profit est quasiment nul. Dans ce cas, les incitations à la productivité sont nulles : si je récupère vos recettes et que je rembourse tous vos coûts, vous n’avez pas intérêt à être productif.

Dans le cas des contrats « prix fixes », c’est un mécanisme complètement opposé. L’autorité organisatrice dit à l’opérateur : « Je vous donne une subvention en début d’exercice qui est proportionnelle à l’activité attendue et vous êtes totalement responsable des dépassements de coûts ou de la réduction des coûts. C’est-à-dire que si vous êtes suffisamment productifs, vous aurez un profit positif. Si vous dépassez les coûts attendus, vous aurez des pertes. Donc c’est votre responsabilité, voici votre subvention et vous vous débrouillez. »

Quel est le choix optimal  pour la collectivité ?

Nous avons suggéré qu’un contrat de type « prix fixe » permet de réduire de façon significative le coût d’exploitation des opérateurs.

L’autre question à laquelle nous nous sommes intéressés est liée au choix du contrat. Si les contrats de type « prix fixe » permettent de réduire les coûts, est-ce que ces contrats sont préférables pour la société ? Pour la société, la réponse est « pas nécessairement ». Dans une situation où l’autorité organisatrice souffre d’un manque d’information sur la technologie de l’opérateur, sur les coûts, sur la façon dont l’opérateur associe ses facteurs de production, des contrats de type incitatif comme les contrats type « prix fixe » peuvent être dommageables également pour la société si l’on verse des subventions trop élevées à l’opérateur et que celui-ci fournit des efforts de productivité très grands. On lui laisse dans ce cas des niveaux de profits très élevés, c’est ce que l’on appelle « laisser un niveau de rente important » à l’opérateur. Donc dans une situation où il y a un manque d’informations du côté de l’autorité organisatrice, un choix de contrat plutôt qu’un autre n’est pas forcément préférable.

Comment est-ce que les autorités en France choisissent un type de contrat plutôt qu’un autre ? On s’est rendu compte qu’elles souffrent d’un manque d’informations, et elles sont en même temps peu sophistiquées. Ce ne sont pas des spécialistes du transport, ce sont des élus municipaux qui sont responsables du transport mais également d’autres activités municipales. Ce ne sont clairement pas des spécialistes et leur motivation, c’est ce qu’on a essayé de montrer à travers notre recherche, pour choisir un contrat plutôt qu’un autre n’est pas basée sur l’efficacité économique. Ce sont très souvent des choix politiques. Par exemple nous avons suggéré que les municipalités de droite préfèrent les contrats du type « prix fixe » alors que celles de gauche préfèrent les contrats du type « coût du service ». Les opérateurs ont également des préférences pour un type de contrat ou un autre.

VIDEO 2 – Concurrence et règlementation dans le transport urbain
Quelles sont les entreprises qui se partagent le marché du transport public en France ?

On a aujourd’hui deux grands opérateurs de transport et de petits opérateurs. Les opérateurs aujourd’hui sont Transdev et Kéolis. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a vingt ans, il y avait trois opérateurs principaux qui étaient Kéolis, Connex et Transdev, ainsi qu’un groupe d’opérateurs indépendants qui étaient regroupés au sein d’une association qui s’appelait AGIR. Entre temps Connex est devenu Véolia, et Véolia et Transdev ont fusionné en 2011. Donc à partir de 2011, on s’est retrouvé avec deux opérateurs principaux, Transdev et Véolia d’un côté, et Kéolis de l’autre. Transdev et Véolia s’appellent Transdev depuis 2013.

Quel est l’état de la concurrence dans ce secteur ?

La réponse dépend un peu de la période étudiée. Sur les données vieilles de vingt ans, on peut répondre que la concurrence est très limitée. Les mêmes opérateurs étaient présents sur une très longue période (plus de vingt ans parfois). Bien que les autorités organisatrices proposent des appels d’offres pour choisir l’opérateur le plus efficace, c’est toujours le même qui est en place. Donc jusqu’à récemment la concurrence était très limitée. Il a fallu attendre le début, voire le milieu, des années 2000 pour voir apparaître quelques changements. Notons d’ailleurs que les trois opérateurs principaux en 2005, Transdev, Kéolis et Connex, ont été condamnés par l’Autorité de la concurrence pour entente. Ce n’est pas un hasard car ces mêmes opérateurs étaient en place dans les mêmes villes depuis plus de vingt ans.

Aujourd’hui peut-on dire que cette situation a changé ?

Aujourd’hui on commence à voir apparaître quelques changements, notamment dans les réseaux de taille plus petite. Ce sont de petits opérateurs qui offrent leurs services dans ces cas-là.

Une autre décision récente de l’Autorité de la concurrence, et qui a eu son importance, a été l’autorisation de fusion entre Véolia et Transdev en 2011. C’est assez intéressant pour un économiste : dans une industrie où il y a trois opérateurs principaux, Véolia, Transdev et Kéolis, on autorise la fusion entre deux de ces acteurs principaux. Cela restreint clairement la concurrence. Évidemment c’est une industrie dans laquelle la concurrence était limitée au départ, donc on peut imaginer que cette fusion a été autorisée sous certaines conditions, à savoir que les opérateurs concernés devaient « ouvrir » certaines des villes dans lesquelles ils exerçaient à la concurrence. On dit « ouvrir la concurrence » puisque c’est ce qu’ils devraient faire par définition.

Quels sont les arguments pour autoriser une fusion ?

Encore une fois, une question intéressante pour le chercheur est de déterminer qu’elles sont les bonnes règles pour accepter ou non une fusion dans un cadre où l’autoriser réduit la concurrence en amont puisque s’il y a un participant en moins aux appels d’offres, la concurrence est affaiblie. D’un autre côté, autoriser deux entreprises à fusionner leur permet de bénéficier de gains de productivité. Tout le débat repose sur l’évaluation de ces gains de productivité face à la perte de concurrence en amont. C’est le type d’étude sur lequel nous travaillons actuellement.

VIDEO 3 : Le modèle d’organisation français du transport urbain
Comment est organisé le transport urbain en France ?

Dans chaque ville en France est défini ce qu’on appelle un périmètre du transport urbain qui peut regrouper une ville ou plusieurs. En général, c’est une ville principale et plusieurs villes de taille moyenne, voire plus petites. À l’intérieur de ce périmètre, une autorité régulatrice, la ville ou un regroupement de villes, s’occupe de l’organisation du service. Cela veut dire déterminer la taille du réseau, dire que l’on veut une ligne d’un point A vers un point B, déterminer une qualité des véhicules, déterminer des prix et déterminer la façon dont l’opérateur va être remboursé suite au service rendu aux usagers.

Quelle est la part subventionnée par l’Etat dans le coût du transport ?

Lorsqu’on achète un billet de métro qui coûte 1€30, en fait on coûte à l’opérateur le double, à savoir 2€60. Donc 50 % du coût des transports urbains doit être subventionné par l’État. Historiquement c’était l’État qui finançait directement l’activité. Depuis 1982, ce sont les collectivités locales qui sont financièrement responsables. Évidemment elles reçoivent leurs fonds du gouvernement, mais ce sont elles qui sont responsables des pertes éventuelles liées à l’activité du transport.

Il faut subventionner à peu près 50 % du prix du billet parce que le transport urbain répond aux règles de services universels qui veulent que chaque usager a droit aux transports. C’est la raison pour laquelle le prix du billet est plus bas que ce qu’il devrait être. Il y a clairement un compromis à faire entre augmenter le prix du billet ou augmenter l’utilisation des subventions à travers les impôts.

Ce ne sont pas les mêmes personnes qui paient à chaque fois : si l’on augmente le prix du billet, ce sont bien les usagers qui paient ; si l’on réduit le prix du billet et que l’on augmente l’usage intensif des fonds publics, c’est toute la population qui participe au financement du transport urbain. Est-ce que c’est justifié ? Oui. Pourquoi ? Parce que le transport urbain est une activité qui crée des externalités positives. Elle permet la libre circulation de tous les individus, et la libre circulation contribue à la création de richesses. Par opposition avec l’automobile, elle permet de réduire des externalités négatives qui sont par exemple la pollution ou le bruit.

Pourquoi en France ne laisse-t-on pas ce service au secteur privé ?

La notion de service public est plus ou moins forte, cela dépend du pays considéré. En France, la qualité du service public est fondamentale. Dans d’autres pays tels que le Royaume-Uni, les citoyens accordent évidemment beaucoup d’importance aux services mais le transport urbain est une activité qui a été totalement dérèglementée, c’est-à-dire que les entreprises peuvent entrer où elles veulent et offrir leurs services comme elles veulent au prix fixé par elles-mêmes. Ce n’est pas le cas de Londres mais c’est le cas dans le reste du Royaume-Uni. Au Pérou, à Lima, l’activité est complètement déréglementée. Si je veux offrir un service de transports urbains à Lima, je pars avec mon bus, je vais offrir un service et je fixe les prix que je veux. Tout dépend de si l’on parle d’un pays développé ou d’un pays en voie de développement. Un pays qui a beaucoup plus de mal à financer une activité de service public augmentera les prix et fera payer le coût de l’activité plus aux usagers qu’à l’ensemble de la population. En France, on a choisi de faire porter le poids du financement à l’ensemble de la population. Encore une fois parce qu’on a ici un service public et parce que cette activité est créatrice d’externalités positives sur l’ensemble des citoyens.

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